Dans la physique contemporaine, certains modèles prévoient un univers qui ne connaît ni commencement ni fin, défiant la notion de temporalité linéaire adoptée par la majorité des cosmologies classiques. Cette hypothèse entre en conflit avec les lois thermodynamiques, selon lesquelles un système isolé tend vers un état d’équilibre maximal.
Des penseurs médiévaux, tels que Thomas d’Aquin, ont déjà confronté la tension entre l’éternité du monde et la création ex nihilo. Les débats actuels, nourris par les avancées de la cosmologie quantique, réactivent cette interrogation : l’univers obéit-il à une périodicité infinie ou à un cycle unique non réversible ?
Plan de l'article
- Aux origines de la théorie de l’éternel retour : une idée qui traverse les siècles
- L’univers est-il vraiment éternel ? Entre mythes, philosophie et science
- Thomas d’Aquin face à l’éternité du monde : une réflexion singulière
- Ce que la cosmologie moderne révèle (ou ne révèle pas) sur l’éternité de l’univers
Aux origines de la théorie de l’éternel retour : une idée qui traverse les siècles
Impossible de réduire la théorie de l’éternel retour à un simple produit de la modernité. Son histoire s’ancre dans l’Antiquité, chez Empédocle qui imagine un cosmos rythmé par l’alternance perpétuelle de l’amour et de la haine. Un peu plus tard, Héraclite façonne la notion d’un univers en transformation constante, socle de ce que Nietzsche revisitera bien des siècles après. Aristote, quant à lui, pose la question de l’éternité du monde : pour lui, il n’y a ni commencement ni fin, mais l’univers reste tout de même une création. Ce choix de penser la continuité sans ignorer l’origine animera des siècles de débats.
La philosophie médiévale ne laisse pas tomber la question dans l’oubli. Les échanges parfois vifs entre éternalistes, à l’image de Siger de Brabant, et partisans d’un commencement, tels saint Bonaventure ou saint Albert le Grand, montrent à quel point le sujet fascine et divise. Simplicius, commentant Aristote, maintient l’idée d’un ordre cosmique étranger à toute naissance ou disparition.
Voici quelques repères qui montrent la diversité des approches à travers les siècles :
- La défense de l’éternité du monde par Aristote, qui refuse la notion d’un début absolu
- La vision cyclique du cosmos chez Empédocle, où l’amour et la haine s’affrontent éternellement
- La filiation entre Héraclite et Nietzsche, qui propulse le concept moderne d’éternel retour
Cette tension entre la création et l’éternité ne faiblit pas d’une époque à l’autre. D’un côté, l’obsession pour l’origine de l’univers ; de l’autre, l’ambition de penser un temps sans début ni fin. Plus qu’un débat abstrait, il s’agit d’une interrogation profonde sur la nature du monde, notre place dans le temps, et la possibilité même de l’infini.
L’univers est-il vraiment éternel ? Entre mythes, philosophie et science
Jamais ce sujet n’a laissé indifférent. Depuis des millénaires, la question de l’éternité de l’univers alimente les mythes fondateurs, les textes sacrés, et bien sûr, la philosophie. La Genèse affirme une création ex nihilo, une position reprise et officialisée lors du concile du Latran IV : le monde aurait surgi d’un acte transcendant, un commencement radical. La notion de cause première s’identifie alors à la figure divine, détentrice du temps et de la matière.
Les débats médiévaux font émerger deux camps irréductibles. Siger de Brabant prend parti pour l’éternité du monde, tandis que saint Bonaventure et saint Albert le Grand défendent l’idée d’un univers né à un instant précis. Pour clarifier le débat, Jean Philopon et Al-Ghazali proposent l’argument du Kalam : tout ce qui commence à exister a une cause, donc l’univers doit avoir une origine. Ce raisonnement, aujourd’hui repris par William Lane Craig et contesté par Graham Oppy, s’appuie sur le principe de raison suffisante et sur l’impossibilité d’un infini actuel. L’exemple de l’hôtel de Hilbert illustre à quel point une infinité concrète pose problème.
La science actuelle n’esquive pas la question. Le théorème Borde-Guth-Vilenkin démontre qu’un univers en expansion ne peut pas être éternel vers le passé, ce qui renforce l’idée d’un commencement. Pourtant, des figures comme Stephen Hawking ou Roger Penrose proposent des modèles où l’univers n’aurait pas de début net, ou bien suivrait des cycles. Mais la tension demeure : oscillant entre création et perpétuité, la science peine à fixer des frontières claires entre cause première, lois physiques et ambitions métaphysiques.
Thomas d’Aquin face à l’éternité du monde : une réflexion singulière
Lorsqu’il s’agit de trancher sur la question de l’éternité du monde, Thomas d’Aquin se distingue par une prudence rare. Tandis que certains, tel Siger de Brabant, affirment que l’univers est nécessairement éternel, Thomas refuse la facilité d’un choix binaire. Selon lui, la raison humaine ne parvient pas à offrir une démonstration décisive : aucun argument n’impose de façon irréfutable que l’univers ait commencé, ni qu’il soit de toute éternité.
Thomas d’Aquin va plus loin : il envisage que Dieu aurait pu créer un univers éternel, sans début temporel, si telle avait été sa volonté. Cette position surprend, car elle dissocie la création de la seule idée d’un commencement dans le temps. Pour Thomas, créer signifie donner l’être, maintenir l’existence, indépendamment du point de départ chronologique. Ainsi, le monde, qu’il ait ou non un commencement, dépend toujours de la volonté divine.
Dans la Somme contre les Gentils, il insiste : ni les raisonnements des philosophes, ni ceux des théologiens n’apportent de preuve définitive sur ce point. Il se démarque d’Aristote, partisan d’une éternité du mouvement, et des théologiens pour qui la foi tranche la question. L’intellect humain, selon Thomas, se heurte ici à une limite infranchissable : seule la Révélation affirme que le monde a connu un commencement.
Ce que la cosmologie moderne révèle (ou ne révèle pas) sur l’éternité de l’univers
Les avancées de la cosmologie contemporaine bouleversent les certitudes sur la nature du temps cosmique. Depuis que la théorie du big bang s’est imposée, l’idée d’un univers sans commencement a été sérieusement contestée. Les découvertes, expansion de l’espace, rayonnement fossile, abondance d’éléments légers, dessinent un scénario où l’univers jaillit d’un passé fini. Le théorème Borde-Guth-Vilenkin indique que tout univers en expansion doit avoir un début. Quant aux modèles cycliques, ils se heurtent à la loi de l’entropie : impossible de recommencer éternellement à l’identique, la seconde loi de la thermodynamique impose ses règles.
Certains physiciens, tels Stephen Hawking ou Roger Penrose, tentent de repousser ces limites. Penrose imagine un univers traversé par des cycles cosmiques, mais le spectre d’un commencement demeure. Hawking propose un espace-temps sans bord, une origine qui n’en serait pas une, mais ces hypothèses, aussi séduisantes soient-elles, n’effacent pas la question du big bang. Les mystères de la matière noire et de l’énergie sombre restent entiers : nul échappatoire garanti vers l’éternité.
| Notion | Implication |
|---|---|
| Big Bang | Début mesurable de l’univers |
| Expansion de l’univers | Conforte l’idée d’un passé fini |
| Entropie | Obstacle aux cycles éternels |
| Théorème BGV | Commencement nécessaire |
La physique actuelle n’apporte pas de réponse définitive à la question de l’éternité du monde, mais l’accumulation d’indices va dans le sens d’une origine. Ce qui fut longtemps une évidence pour Aristote vacille désormais, sous la pression des observations et des calculs. L’éternité de l’univers n’est plus une évidence, mais une énigme qui résiste, encore, aux certitudes de la science.

